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Le jour d’après – Entretien avec Philippe Duclos

Passée la sidération et la surprise, comment réagissent nos clients et partenaires dans leur organisation ? Quels regards et analyses portent-ils sur cette période totalement inédite ? Et demain, à quoi ressembleront les jours d’après ?

 

Comment observez-vous cette période de crise inédite ?

Philippe Duclos : La période actuelle est un séisme économique sans précédent dont nous ne mesurons pas encore la gravité ni l’ampleur des conséquences. L’action de la puissance publique a permis de masquer les premiers effets sur notre économie mais, dès le prochain semestre, je pense que la crise va se traduire par un nombre considérable de défaillances d’entreprises. Je suis donc très inquiet. Dans notre activité de conseil, les travaux de stratégie ont marqué un coup d’arrêt. Pour nos clients, l’heure est plutôt aux actions en faveur de la sécurité de leurs employés, de la continuité d’exploitation, de la restructuration financière et de l’augmentation de la performance à court terme. Et pourtant, très bientôt, les entreprises vont devoir réfléchir en profondeur à comment passer d’un système fondé sur l’optimisation économique à une approche fondée sur la résilience stratégique.

« Les entreprises vont devoir déterminer comment passer d’un système fondé sur l’optimisation économique à une approche fondée sur la résilience stratégique. »

Vous évoquez la notion de « résilience » de l’entreprise. Qu’est-ce que cela signifie ?

Ph. D. : La résilience, c’est la capacité d’une organisation à se relever d’un choc et à garantir, en toutes circonstances, la performance et la disponibilité des produits et des services qu’elle fournit. La crise actuelle met ce thème sur le devant de la scène. Pourtant, les entreprises et les États auront du mal à dépasser le stade des incantations. Rappelons-nous combien, dans les années 1970, la qualité était le thème à la mode, et qu’il aura fallu plus de trente ans pour qu’elle ne soit plus vue seulement comme un mal nécessaire ou un coût à minimiser, mais comme un avantage compétitif intégré au cœur des processus de l’entreprise. Aujourd’hui, l’enjeu est de faire de la résilience un nouvel atout stratégique. Cela nécessitera de revoir en profondeur les choix faits par les entreprises, de repenser les processus de gestion, qui sont souvent prisonniers d’un horizon de court terme, et d’introduire un management par les risques à plus long terme. Les premiers qui se saisiront de ce thème en tireront un avantage concurrentiel majeur et durable.

Vous pouvez nous donner des exemples ?

Ph. D. : Concrètement, cela signifie concevoir des produits qui puissent être fabriqués partout, bâtir des chaines d’approvisionnement flexibles qui ne soient pas dépendantes d’un pays ou d‘un fournisseur, imaginer une gestion de production adaptable en temps réel grâce à des outils de modélisation, avoir des canaux de distribution multiples… En matière de résilience, je citerais volontiers l’exemple de la Croix-Rouge française, une des plus grandes associations nationales d’aide et de soutien aux publics les plus fragiles. Grâce à la diversité de ses volontaires – bénévoles, salariés ou donateurs –, à la pluralité de ses activités et de ses sources de financement, et à une organisation revue ces dernières années pour la rendre plus robuste, elle a su être pleinement au rendez-vous de la crise actuelle, alors que tant d’autres, associations ou entreprises, en sont à lutter pour leur survie.

Les dirigeants d’entreprises ou d’institutions sont-ils prêts à tous ces changements que vous évoquez ? 

Ph. D. : Pas encore, je pense. Faire ces changements, cela demande de s’appuyer sur un consensus fort entre le conseil d’administration et la direction générale ; cela demande de reconsidérer les arbitrages entre court-terme et long-terme ; cela exige enfin de repenser très en profondeur toutes les activités, depuis la conception des produits et des services ou la définition de la chaîne de production, jusqu’aux canaux de distribution. Sinon, on aboutit à l’effet inverse en faisant exploser les coûts.

« L’optimisation économique permanente d’un modèle de production donné, sans véritable prise en compte de scénarios de disruption, est désormais dépassée. »

Quelles sont les leçons à retenir de tout cela ?

Ph. D. : Il est nécessaire de bâtir un nouveau modèle d’affaires capable d’encaisser des chocs imprévisibles. Comme disait Montesquieu : « Si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, ruine un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille ». Cette secousse n’était, certes, pas prévisible, mais le fait que des entreprises disparaissent révèle des causes structurelles de fragilité et remet en cause les priorités stratégiques antérieures. En l’occurrence, l’optimisation économique permanente d’un modèle de production donné, sans véritable prise en compte de scénarios de disruption, est désormais dépassée.

« Si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, ruine un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille » Montesquieu

Les jours d’après, vous changerez quoi ?

Ph. D. : Le jour d’après n’existe pas vraiment. La crise va durer tout en changeant de forme. Il va falloir faire preuve d’écoute et d’adaptabilité par rapport à un monde mouvant, qui pourra apporter des opportunités si l’on accepte le changement dans ce qu’il a parfois de positif. La distanciation sociale dont on nous parle n’est en fait qu’une distanciation spatiale : elle ne doit en rien nous faire oublier les valeurs de partage, d’empathie et de solidarité qui sont au cœur de la résilience.

Le jour d’après – Entretien avec Philippe Duclos