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Hydrogène : vecteur de la décarbonation pour la mobilité terrestre ?

Introduction

« Je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source inépuisable de chaleur et de lumière, d’une intensité dont le charbon n’est pas capable. » Jules Verne

C’est à se demander si Jules Verne a eu lors de ses Voyages Extraordinaires le songe d’un « monde futuriste », où sur une Île mystérieuse, l’hydrogène était au centre d’un écosystème de transport neutre en carbone permettant ainsi de répondre à un défi majeur mais anachronique à son époque : la transition énergétique.

En 2019, le transport routier était en France le principal secteur émetteur, avec près de 136 millions de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère, soit 31% des émissions pour un parc français composé de 45 millions de véhicules, dont 2% de poids lourds, 13% de véhicules utilitaires légers et 85% de voitures particulières.

Dans cet objectif de réduction des émissions de CO2 liés au secteur des transports, une nouvelle loi européenne a été votée en juin 2022 interdisant la vente de voitures thermiques neuves à essence, au diesel ou hybrides d’ici 2035 et remettant profondément en question les modes de transport en Europe.

Alors que les ventes de voitures électriques (hors hybride) ne représentent en 2022 que 12% du marché automobile français, un changement de paradigme doit rapidement se mettre en place pour permettre une transition vers une mobilité décarbonée.

L’hydrogène pourrait être un des moteurs de ce changement. De nombreuses institutions se déclarent d’ores-et-déjà prêtes à investir plusieurs milliards d’euros pour financer ce développement :

  • La Commission européenne, qui a annoncé un financement de 41 projets pour 5,4 milliards d’euros
  • Le Gouvernement français, qui a prévu un financement de près de 7 milliards d’euros dans le cadre de France 2030 (plan d’investissement)
  • Le fonds Hy24, regroupant entre autres TotalEnergies, Airbus, Vinci, Air Liquide, qui a pour objectif de financer entre 15 et 30 projets pour un total de 2 milliards d’euros

Mais pourquoi ce gaz fait-il tant couler d’encre dans les journaux et est-il autant mis en avant par les pouvoirs publics et les grandes entreprises ?

Sous quelles conditions l’hydrogène peut-il être un gaz décarboné ?

Quelles sont ses applications dans le secteur des transports ?

Quels sont les impacts économiques et écologiques de l’utilisation de l’hydrogène dans le transport routier ?

Et quelles sont les limites à son déploiement massif ?

C’est ce que nous allons explorer dans les paragraphes qui suivent.

La production d’hydrogène

Pour commencer, l’hydrogène n’est pas forcément un gaz propre : tout dépend de la manière dont il est produit.

Différentes techniques de production de l’hydrogène, couleurs et émissions associées:

L’hydrogène n’est pas toujours un carburant propre

L’hydrogène peut se classifier sous différentes couleurs selon sa technique de production et le composant initial ou la nature de l’énergie utilisée :

  • Le procédé le plus ancien pour produire de l’hydrogène consiste à transformer du charbon en gaz. Le processus de « gazéification » permet de transformer des matières carbonées, organiques ou fossiles, en monoxyde de carbone, hydrogène et dioxyde de carbone. Ce processus est très émetteur en CO2 : entre 11 et 19kg de CO2 par kg d’hydrogène
  • L’hydrogène le plus courant de nos jours est de l’hydrogène gris qui peut se transformer en hydrogène bleu si un processus de captation de CO2 est mis en place
  • Le seul hydrogène 100% propre, c’est-à-dire étant neutre en carbone, est l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau dont le courant électrique provient d’électricité renouvelable
  • 2 nouveaux procédés sont en cours d’expérimentation :oLa « pyrolyse du méthane ». Ce processus permet de produire de l’hydrogène turquoise et permet de limiter les émissions de CO2oLa production à partir de biomasse agricole ou de chanvre, qui permet de produire de l’hydrogène vert

Quelques gisements naturels d’hydrogène ont été découverts dans les années 70, un premier site pilote a notamment été construit au Mali. Très peu d’émissions sont alors associées à l’extraction de cet hydrogène appelé hydrogène blanc.

Répartition des modes de production de l’hydrogène mondial en 2018 en volume :

La production d’hydrogène croît significativement, en passant de 75 millions de tonnes en 2018 à près de 94 millions en 2021, soit une augmentation de 25% en 3 ans.

La part de l’hydrogène vert reste encore marginale à l’échelle mondiale : en 2018, moins de 1% de l’hydrogène mondial a été produit par électrolyse de l’eau, quand cette proportion atteint les 5% en France. En considérant le mix de production actuel de l’hydrogène, sa fabrication entraine le rejet d’une quantité importante de CO2 dans l’atmosphère, de l’ordre de 800 millions de tonnes par an.

Des coûts de production qui dépendent principalement de la maturité de la technologie

Le coût de production d’un kilo d’hydrogène peut varier entre 1,5 € et 6 € en fonction de la technologie utilisée et du niveau de maturité du mode de production. L’hydrogène vert reste encore très cher et ce notamment par la présence de matériaux rares dans les électrolyseurs et le coût élevé d’approvisionnement de l’électricité renouvelable.

APPLICATIONS DANS LA MOBILITÉ TERRESTRE

Mobilité hydrogène et mobilité électrique

Schéma de fonctionnement hydrogène à bord d’un véhicule :

L’hydrogène est stocké à l’état gazeux entre 350 et 700 bars dans un réservoir spécifique qui alimente en hydrogène une pile à combustible. Le dioxygène de l’air ambiant et l’hydrogène provoquent une réaction électrochimique dans la pile à combustible, qui produit de l’électricité, de la chaleur et de la vapeur d’eau.

Cette électricité alimente une batterie tampon ainsi que le moteur électrique servant à propulser les roues du véhicule.

Le rechargement en hydrogène du réservoir se fait dans des stations dédiées grâce à des pompes capables d’injecter rapidement de l’hydrogène sous forme de gaz à haute pression dans le réservoir.

L’hydrogène : une solution à moyen et long terme pour les voitures légères

Au prix de vente de l’hydrogène vert, situé actuellement en France entre 10 € et 15 € le kg, la mobilité hydrogène pour les véhicules légers n’est pas rentable. Le coût en carburant hydrogène serait légèrement supérieur aux coûts d’essence, mais l’amortissement de l’investissement initial en rétrofit ou en véhicule neuf sur un coût kilométrique serait très élevé pour un véhicule léger roulant sur des faibles distances.

Les constructeurs et les pouvoirs publics n’ont à ce jour pas mis la priorité sur ce cas d’usage de l’hydrogène, mais son utilisation sera à reconsidérer d’ici quelques années lorsque les technologies de piles à combustible auront atteint leur maturité et permettront une diminution significative des coûts de l’investissement initial.

L’hydrogène : une solution à court terme pour les poids lourds

A l’inverse de la voiture particulière, l’hydrogène est une solution pour la décarbonation de la mobilité lourde à court terme. Les très grandes distances parcourues par an ainsi que les consommations élevées en carburant engendrent une part de l’amortissement de l’investissement plus faible par kilomètre parcouru, rendant ainsi économiquement plus intéressant le développement à court terme de cette filière.*

Bus

Plusieurs acteurs se sont déjà positionnés sur le segment des bus à hydrogène en proposant une autonomie se situant autour de 400 km avec Safra, VanHool et Solaris, qui ont tous commercialisé des premières versions de bus à hydrogène.

Un programme français a vu le jour en 2020, annonçant la commande de plus de 1 000 bus hydrogène pour de nombreuses villes. Des premières lignes pilotes de bus à hydrogène sont mises en place avec notamment la ligne express Évreux – Rouen fonctionnant 365 jours /an avec 380 km parcourus par jour et 35 000 voyages annuels.

Les bus de cette ligne ont connu un rétrofit sur des autocars vieux de 5 ans : cela a permis une hausse de 30 % de l’autonomie, une augmentation de la durée de vie de 14 à 25 ans sans diminution du nombre de passagers. Une station d’hydrogène permettant de produire 50 kg d’H2 par jour a ainsi été construite à Évreux afin d’alimenter cette ligne.

Camion

De la même manière que pour les bus, de nombreux camions hydrogène sont déjà commercialisés par les constructeurs avec des modèles allant de 400 km, avec les constructeurs Hyundai ou Horizon jusqu’à
1 000 km avec le camion Gen H2 proposé par Mercedes utilisant la technologie d’hydrogène liquide.

Les institutions européennes (Hydrogen Europe) vont activement dans ce sens, avec la création d’un fonds regroupant une soixantaine d’acteurs ayant pour objectif le financement d’ici à 2030 d’une flotte de 100 000 camions H2 et 1 000 stations d’avitaillement, avec comme premier jalon en 2025 une flotte de 10 000 camions et de 100 stations.

Les avantages de la mobilité hydrogène comparée aux mobilités électrique et fossile

Tableau comparatif pour un bus selon le carburant utilisé :

Hypothèses : consommation de 30 L / 100 km pour un bus. 130 kWh / 100 km. 8 kg H2 / 100 km.

Éléments clés de comparaison :

  • Le véhicule hydrogène permet d’avoir une autonomie semblable à celle d’un véhicule essence et 2 fois plus élevée que celle d’un véhicule électrique
  • Le temps de rechargement d’un véhicule hydrogène est semblable à celui d’un véhicule essence
  • Le coût de circulation au km le plus faible est celui du véhicule électrique : environ 4 fois plus faible que le coût hydrogène

Pour ce qui concerne l’investissement initial, le surcoût entre un bus électrique et un bus hydrogène se situe autour de 300 k€, mais il promet en contrepartie une autonomie supplémentaire de 200 km et un temps de rechargement environ 10 fois plus rapide.

D’un point de vue économique, la mobilité électrique reste donc la solution la plus satisfaisante sur des lignes de courte distance (entre 150 et 200 km), mais dès lors que la distance dépasse l’autonomie de l’électrique (>200 km), la mobilité hydrogène est conseillée. Elle permet notamment d’éviter l’investissement dans un deuxième bus électrique pour effectuer le trajet sur une ligne de bus de plus de 200 km.

Les limites au développement

Le stockage de l’hydrogène : un facteur limitant

Volume de stockage pour 1 kg d’hydrogène :

Une des premières limites de l’hydrogène réside dans son stockage, qui peut présenter plusieurs formes :

  • Liquide : avec une température de liquéfaction et de stockage de -253 degrés Celsius, le processus de liquéfaction est très vorace en énergie. Cette solution entraine des coûts énergétiques élevés et rend son application complexe pour le grand public
  • Gazeux : l’hydrogène est un gaz léger et volumineux qui doit être comprimé au maximum pour réduire l’encombrement des réservoirs. Il est désormais possible de le compresser jusqu’à 700 bars pour des applications de mobilité terrestre, mais, même à cette pression, il faut 4,6 litres d’hydrogène pour produire autant d’énergie qu’1 litre d’essence
  • Ammoniac (liquide) : l’hydrogène peut être transformé en ammoniac par un procédé de synthèse avec de l’azote. Cependant, cela entraine de nouvelles contraintes liées à l’ammoniac, qui est une substance très toxique

Aujourd’hui, la technologie de stockage de l’hydrogène la plus utilisée reste le stockage sous forme gazeuse à 700 bars pour la mobilité terrestre, mais elle nécessite une adaptation du véhicule pour stocker la quantité nécessaire à la circulation sur des longues distances.

L’hydrogène : une technologie de stockage énergétique avec des pertes de rendements élevées

Une deuxième limite de l’hydrogène à lever pour permettre une utilisation durable réside dans les pertes de rendement.

Schéma des pertes de rendement de la chaine hydrogène : 

58,7kWh d’électricité sont nécessaires à la production d’un kilo d’hydrogène quand l’énergie électrique qui en résulte n’est que de 13,4kWh : de nombreuses pertes sont constatées lors de l’électrolyse, de la compression et de la pile à combustible. Augmenter les rendements de ces différentes étapes permettrait d’augmenter la part d’électricité initiale contenue dans un kg d’hydrogène et donc de régler en partie les problématiques liées au stockage.

L’hydrogène : une technologie au coût éle

Enfin, le coût de production reste aujourd’hui encore très élevé :  les composants des électrolyseurs (pour produire l’hydrogène) et des piles à combustibles (pour le retransformer en électricité) sont encore extrêmement chers et n’ont pas atteint leur maturité. Afin de démocratiser les usages de l’hydrogène, il sera nécessaire de rendre son coût plus abordable, afin qu’impact écologique et compétitivité économique puissent aller de pair.

A l’horizon 2030, l’hydrogène produit par électrolyse offre des perspectives de réduction significative des coûts et pourrait se situer entre 2€ et 4€ du kilo d’hydrogène dans le cas d’une connexion directe des électrolyseurs au réseau électrique ou en cas d’autoproduction.

Conclusion 

L’hydrogène : une solution d’avenir pour décarboner la mobilité terrestre sous conditions

En conclusion, l’hydrogène n’est pas forcément un carburant propre. S’il n’émet pas de CO2 directement lors de sa combustion, son processus de production peut être extrêmement vorace en énergie et émetteur en CO2.

L’hydrogène vert, neutre en carbone pourrait alors répondre à cet enjeu de transition énergétique du secteur de la mobilité terrestre en proposant une alternative concrète aux solutions thermiques (riches en émissions de CO2) et aux solutions électriques (faibles en autonomie).

Néanmoins, certaines limites persistent et doivent être levées : coût des technologies, rendement de la chaine de production et modalités de stockage doivent encore progresser significativement avant une généralisation de son usage.

Si le développement d’une filière hydrogène est encore économiquement difficile aujourd’hui, elle n’en est pas moins en pleine effervescence. Collectivités et entreprises font le pari de construire des petites unités ou de faire fonctionner une partie de leur flotte à l’hydrogène afin de maîtriser la technologie pour ensuite passer à l’échelle dès que la maturité de la technologie permettra de diminuer les coûts de production.

Et vous-mêmes, comment voyez-vous l’hydrogène dans le plan de transition énergétique de votre entreprise ou de votre territoire ? Si vous vous posez des questions sur les cas d’usages et les opportunités qui s’ouvrent aux pionniers dans ce secteur, nous serons ravis d’échanger avec vous et de vous accompagner dans le développement de ces nouvelles solutions ! Contactez-nous.

Hydrogène : vecteur de la décarbonation pour la mobilité terrestre ?