Alors que le bitcoin oscille depuis un an entre 30 000 et 69 000$ depuis un an après une multiplication par 10 du cours ’’année précédente, l’engouement pour les cryptomonnaies ne semble pas s’essouffler. Pure bulle spéculative pour les uns, noyau du futur système monétaire pour les autres ou pilier d’une nouvelle société décentralisée, rarement un sujet aura fait couler autant d’encre… et à juste titre !
Selon les Échos, 221 millions de personnes possédaient des cryptomonnaies en juin 2021, soit deux fois plus que l’estimation faite par l’université de Cambridge en 2020 (qui représentait déjà trois fois celle de 2018). Cependant, si nous avons tous entendu parler des buzzwords que sont le bitcoin, les cryptomonnaies et la blockchain, rares sont ceux qui en connaissent leurs concepts, leur diversité et leurs applications quotidiennes.
Quelles sont les initiatives locales liées à la blockchain ? Quels sont les avantages d’un écosystème territorial favorisant les cryptomonnaies ? Quelles sont les villes, collectivités ou Etats les plus avancées dans ce secteur ?
Nous vous présenterons, dans ce second article de cette série sur les cryptomonnaies, une exploration des multiples projets locaux d’application de la blockchain.
Une exploration aux quatre coins du globe
Sans oublier que les cryptomonnaies soient nées en Asie sous l’influence de Satoshi Nakamoto et du Bitcoin (voir article précédent), nous verrons dans cette partie des exemples d’applications de la blockchain en Amérique (Miami, New-York, Salvador), en Europe (Zoug) et au Moyen-Orient (Dubaï).
1. Dynamiser l’innovation du territoire : Miami, New York en lutte pour le titre de capitale du Bitcoin
Pour créer un écosystème structuré par la blockchain, certaines villes envisagent de développer leur propre cryptomonnaie. C’est notamment le cas de Miami et de New-York qui sous l’impulsion de leurs maires respectifs lançaient successivement le MiamiCoin (3 août 2021) et le NewYorkCityCoin (10 novembre 2021), développés avec la start-up City Coins.
L’idée derrière ces cryptomonnaies que chacun peut miner (cf. explication du « minage » dans l’article précédent), est de soutenir le développement de la ville par un réinvestissement local des prélèvements. En effet, 30% de la rémunération est automatiquement prélevée et placée sur un portefeuille réservé pour la ville, et celle-ci peut décider à tout moment d’utiliser cet argent pour financer de nouveaux projets à caractères sociaux, au bénéfice exclusif des habitants de Miami.
Après 45 jours de lancement, les gains estimés pour Miami étaient de 7 millions de dollars puis 21 millions fin novembre 2021. En février 2022, un premier projet de 5 millions de dollars a vu le jour pour financer un programme d’aide au paiement des loyers. Le maire a déclaré que cette initiative pourrait à terme permettre de collecter suffisamment d’argent pour supprimer les taxes locales classiques.
Miami a pris de l’avance sur New-York. Son maire, Francis Suarez, souhaite faire de sa ville la nouvelle Silicon Valley et promouvoir au maximum l’utilisation de nouvelles technologies. Ainsi il prévoit notamment :
- La possibilité pour les employés de la ville de recevoir tout ou partie de leur salaire en cryptomonnaie
- La possibilité pour les résidents de payer leurs impôts locaux en cryptomonnaie
- Le placement d’une partie de la trésorerie de la ville dans les cryptomonnaies
- L’organisation de conférences de renommées internationales comme Bitcoin 2021 (https://b.tc/conference/)
- L’intégration d’œuvres d’art liées aux NFT dans la collection permanente de l’institut d’art contemporain de la ville
Cependant Eric Adams, maire de New-York n’a pas dit son dernier mot ! Si Wall-Street est connue mondialement dans le monde de la finance, New York n’est encore que peu connu dans l’environnement décentralisé de cryptomonnaies et doit faire toutes ses preuves pour devenir un incontournable. En février 2022, la bourse de New-York a déposé un brevet pour lancer une plateforme d’échange de cryptomonnaies et de NFT avec comme objectif de rivaliser avec les principales plateformes d’échanges de NFT (OpenSea, Rarible).
Passionné des cryptomonnaies et convaincu de leur future place dans le système monétaire international le maire Adams souhaite que ces actifs numériques soient enseignés dans les toutes les écoles new-yorkaises. Fervent défenseur des cryptomonnaies mais conscient de la volatilité importante des cours, Eric Adams convient toutefois que toute entreprise souhaitant accepter le Bitcoin doit s’engager avec prudence.
2. Révolutionner les pratiques de secteurs d’activité vieillissant : Dubaï suit sa stratégie intégrée
A l’image de sa démesure, Dubaï semble vouloir repousser les limites de la Blockchain. En effet, le Sheikh Hamdan veut faire de Dubaï la première ville reposant sur la blockchain. En 2013, il lançait un chantier pharaonique pour faire de Dubaï une smart city, et lançait, en 2017, le projet The Dubaï Blockchain Strategy.
En 2020 ce ne sont pas moins de 24 projets liés à la blockchain impliqués sur 8 secteurs économiques différents (Commerce, Santé, Transport, Sécurité, Tourisme, Immobilier, Finance, Education) qui sont développés par la ville, en plus d’accueillir The Future Blockchain Summit 2019, et d’abriter plus de 100 entreprises liées à la blockchain.
Prenons l’exemple des services administratifs de la ville qui traitent chaque année plus de 100 millions de documents. Ce traitement est très onéreux et le projet de blockchain permettrait entre autres de traiter les demandes de visa, le paiement des factures, le renouvellement de licences… permettant ainsi d’économiser près de 80 millions d’heures de travail, soit un milliard d’euros chaque année.
L’un des objectifs annoncés visait 50% de documents administratifs traités via la technologie blockchain fin 2021. Malheureusement, peu d’informations filtrent aujourd’hui de l’Emirat, ne nous permettant pas de juger de l’atteinte de ces objectifs.
3. Transparence et certification digitale : Zoug en fer de lance d’un Etat Suisse précurseur
Vous n’en avez probablement jamais entendu parler, pourtant, avec ses 126 000 habitants, le canton de Zoug est l’un des pionniers européens dans le domaine des cryptomonnaies.
Si depuis déjà 5 ans la ville de Zoug accepte le paiement des impôts en cryptomonnaie, le canton de Zoug s’est récemment associé à la banque crypto Bitcoin Suisse pour en faire de même.
Le paiement est relativement simple : les habitants souhaitant payer en cryptomonnaie doivent scanner un QR code et régler leurs impôts à partir du portefeuille de leur choix. Les transactions sont limitées à 100 000 francs suisses. Les autorités n’ont pas communiqué la proportion de contribuable préférant payer leurs impôts avec des cryptomonnaies.
La ville a également lancé le premier système de carte d’identité officielle sur la blockchain Ethereum. Pour cela les habitants de Zoug doivent recevoir une adresse enregistrée sur la Blockchain Ethereum puis s’inscrire via un QR code au portail Zug ID. Après avoir saisi leurs informations personnelles en ligne ils doivent aller certifier leur identité dans un bâtiment administratif de la ville. Cette identité numérique devrait permettre à terme une identification simple et rapide pour les votes en ligne, le paiement de taxes, la gestion du recensement etc.
A ce jour, 1% des habitants de la ville se sont enregistrés sur Zug ID. Pour ceux-ci, un vote en ligne basé sur la blockchain a déjà été expérimenté à titre consultatif. Les habitants consultés ont eu à répondre par oui ou par non à la question suivante : « Pensez-vous que ce soit une bonne chose d’avoir un feu d’artifice pour la fête annuelle de la ville ? ». Malgré le faible taux de participation (72 participants), le but était bel et bien de tester le vote en ligne et sa sécurité afin de potentiellement en démocratiser l’usage pour des scrutins officiels moins artificiels.
Les villes de Chiasso puis de Zermatt dans d’autres canton ont suivi ce mouvement.
4. Simplifier les transactions financières : le Salvador et l’ambition d’un Président convaincu
Le 7 septembre 2021, le Salvador devenait le premier pays au monde à faire du Bitcoin sa monnaie officielle. Désormais, le pays a donc deux devises légales : le dollar américain, adopté au début des années 2000, et le Bitcoin.
D’après le président Nayib Bukele, le bitcoin pourrait permettre d’économiser 400 millions de dollars chaque année en frais bancaires. Ce gain serait issu de la diminution des frais et taxes associés aux transferts d’argent provenant de la diaspora salvadorienne installée aux États-Unis, un flux aujourd’hui estimé à 22% du PIB du pays.
Si les sondages remontent globalement que deux tiers des répondants n’étaient pas favorables à cette mesure, il y aurait, d’après le gouvernement, déjà plus de 3 millions de comptes bitcoin ouverts gratuitement par les citoyens, soit plus que le double du nombre de comptes bancaires du pays (70% des Salvadoriens ne disposent pas aujourd’hui d’un compte bancaire classique, trop onéreuses).
Puisque le bitcoin est désormais une monnaie officielle, la loi dite bitcoin prévoit qu’aucun commerçant ne puisse refuser un paiement par cryptomonnaie. Le gouvernement a aussi fait installer 200 distributeurs dans le pays afin de pouvoir échanger facilement les monnaies.
Le gouvernement a également offert 30 dollars à tous les habitants sous forme de bitcoin pour les encourager à utiliser l’application créée comme interface d’achat, « Chivo ». Cependant,si une majorité des Salvadoriens ont ouvert un compte, l’utilisation de cette application laisse planer un doute sur les ambitions de l’Etat. En effet, l’ouverture d’un portefeuille sur Chivo nécessite l’accord de l’Etat, et c’est ensuite l’application qui gère le point d’accès à la blockchain. Chivo, société détenue par l’Etat, peut donc tracer l’ensemble des utilisateurs, leurs échanges, et fixer ses propres taux de transaction, révélant ainsi un manque de transparence sur les données collectées et le bénéfice direct qu’en tire l’Etat, raison probable du faible taux d’utilisation de l’application.
Plus récemment, le Président annonçait son projet de « Bitcoin City ». Conchagua utiliserait l’énergie produite par son volcan pour miner du bitcoin et alimenter la ville.
Cette nouvelle ville serait financée par des obligations adossées à des cryptomonnaies. Elle ne sera soumise à aucune autre taxe que la TVA (aux alentours de 15%), il n’y aura donc pas d’impôts locaux, pas d’impôts sur le revenu, pas d’impôts sur les sociétés, etc.
Le pays devrait émettre une première obligation pour une valeur proche d’un milliard de dollars avec une échéance de 10 ans. La moitié devrait être convertie en bitcoin et l’autre investie dans les structures de minage. Ce « Bitcoin Bond », qui permet donc au pays de lever des fonds, n’est pas sans ouvrir un débat majeur sur l’absence d’emprise des régulateurs internationaux sur ce type de financement et la mise en garde du FMI sur le sujet nous le confirme.
Un écosystème local fédéré pour impulser la dynamique
Miami, New York, Dubaï, Zoug, Conchagua… et bien d’autres collectivités ont sauté le pas de se tourner vers le développement de projets liés aux cryptomonnaies.
Si le potentiel semble bien présent, les usages des cryptomonnaies à l’échelle locale sont foisonnants et bien souvent polémiques. Que permet la loi actuellement et comment est-elle amenée à être modifiée ? Quels projets blockchain résonnent avec les problématiques locales ? Comment imposer une régulation internationale pour éviter les débordements ?
Chez Antheus nous sommes convaincus de l’impact que peuvent avoir les collectivités territoriales dans le développement de projet innovants basés sur un principe blockchain. Pour prendre sa place dans cet écosystème, il leur faudra engager des actions d’envergure en embarquant l’ensemble des acteurs du territoire dans une structure naissante et adaptée à la réalité du territoire.
Lors du prochain article de cette série, nous nous intéresserons au développement de cet environnement blockchain en France avec un panorama des villes françaises les plus innovantes.
Sources :
- La Tribune
- Les échos
- Le parisien
- Forbes
- Cryptoast
- Le monde
- Courrier International
Texte co-écrit avec Clément Duval, sous la supervision d’Adrien Guigon.